ABYSSEA : un projet au service de l’industrie pétrolière sur l’île du Levant

Vendredi 8 août, : Trois élus EELV du littoral varois, Brigitte del Perugia (Hyères), Denise Reverdito (la Seyne) et Jean-Laurent Félizia (Le Lavandou), ont participé au happening annonçant la création du groupe d’observation SEMAPHORE des ABYSSES en opposition au projet « ABYSSEA » au large de l’Ile du Levant.

Ce projet consiste en la création d’un Centre d’Expertise et d’Essais en Mer Profonde, soit à la dépose puis à la gestion de deux plates-formes sous-marines à 1300 et 2400 m de fond – dimensions approximatives : L 4 m x l 2,5 m x H 3 m / poids inférieur à 15 tonnes – offrant des communications haut-débit par fibre optique et jusqu’à plusieurs centaines de kW de puissance électrique. Il devrait offrir des perspectives importantes de développement notamment aux industries pétrolières minières en permettant de tester du matériel destiné à la recherche et/ou à l’exploitation des hydrocarbures en mer profonde. Les plates-formes seront déposées dans le canyon des Stoechades, au Nord Est du Levant et au sud du cap Lardier pour la première, la seconde sera 15kms plus à l’Est, juste en dehors des eaux territoriales mais cependant dans la Zone Economique Exclusive, où l’Etat exerce des droits souverains en matière d’exploration et d’usage des ressources.

Ce projet n’est pas sans impact environnemental : aussi bien sur terre que dans la mer, les câbles traversent des zones sensibles, classées Natura 2000 et ZNIEFF (présence d’une biodiversité remarquable[1], herbiers de posidonie, sables et graviers sous influence des courants de fond, sables fins, roches médio et infralittorales). De plus nous sommes là dans le sanctuaire Pélagos, zone de protection des mammifères marins en Méditerranée. Les perturbations des écosystèmes seront le fait de l’installation des câbles et des plates-formes, et tout particulièrement de leur relevage au bout des 30 années maximum de concession, mais elles seront aussi le fait de l’exploitation et de la maintenance : champs électromagnétiques, élévations des températures, émissions sonores, turbidité, contamination chimique ou microbiologique…

Les espèces animales directement menacées par le projet sont les tortues marines et les cétacés. Parmi ceux-ci : le dauphin bleu et blanc, le dauphin de Risso, le globicéphale noir, le grand dauphin, la baleine à bec de Cuvier, le rorqual commun et enfin le cachalot, tous signalés par différentes études au niveau du talus continental du canyon des Stoechades, particulièrement au cours des mois d’août et de septembre où il devient le principal site d’occupation pour les dauphins de Risso et les Globicéphales qui sont en général accompagnés par de nombreux petits. A noter également que pour le cachalot, espèce vulnérable, les versants du canyon des Stoechades lui sont une zone de nourrissage.

A aussi été recensée près du littoral Pinna nobilis, la grande nacre, espèce protégée, le plus grand mollusque bivalve de Méditerranée, pouvant atteindre 1 mètre de hauteur totale.
Il est à noter également que de 0 à 20 mètres de fond, la calanque de la Carbonnière (point de départ des câbles) est comprise dans un site à caractère paysager remarquable, selon les critères de classements des paysages sous-marins.

Un tel projet doit faire l’objet d’une évaluation des incidences sur les sites Natura 2000 (article L.414-4 du code de l’environnement), et doit être soumis à une étude d’impact ainsi qu’à une enquête publique (qui devrait avoir lieu fin 2014/début 2015).

Les conclusions de l’étude des incidences Natura 2000 sont claires : « Le projet du Centre d’Expertise et d’Essais en Mer Profonde est susceptible d’avoir des incidences significatives si les précautions émises ne sont pas ou mals appliquées. »

L’étude d’impact quant à elle a été réalisée par la société CREOCEAN, dont les domaines d’actions concernent l’environnement marin, l’aménagement côtier ainsi que les opérations offshore. Cette société est liée à TOTAL pour qui elle a l’habitude de travailler.

Ses conclusions se veulent rassurante, avec des impacts nuls, voire léger à modérés, grâce à des mesures de précautions aux différentes étapes du projet.

Nous ne pouvons cependant pas nous satisfaire d’un tel optimisme.

D’un point de vue environnemental, nous avons aujourd’hui différents documents institutionnels qui cadrent les activités. Si l’on se réfère au « Plan d’Action pour le Milieu Marin » (PAMM) le projet ABYSSEA n’a pas lieu d’être sur ce site du Levant. En effet les objectifs du PAMM sont :

  • « maintenir en bon état de conservation les habitats profonds des canyons sous-marins »,
  • « limiter les risques d’étouffement des habitats d’intérêt patrimonial ou écosystèmes marins vulnérables des têtes de canyons par des activités anthropiques générant des dépôts divers ou la remise en suspension de sédiments »
  • « limiter le dérangement acoustique des mammifères marins par les activités anthropiques ».

Il évoque également la nécessité de renforcer la réglementation dans le sanctuaire Pélagos.

Et c’est justement la protection des mammifères marins qui est notre sujet de préoccupation premier. En effet ceux-ci sont extrêmement sensibles à l’environnement sonore, les activités humaines perturbant celui-ci, comme l’ont montré les dramatiques évènements d’échouage de cétacés dans les années 90. Nos connaissances scientifiques dans ce domaine sont encore partielles et incomplètes, ce qui est d’ailleurs souligné plusieurs fois dans l’étude d’impact. ABYSSEA prévoit un système de surveillance acoustique ainsi qu’une alarme automatique en cas d’émission sonores susceptibles de perturber les cétacés. Mais les impératifs économiques permettront-ils d’interrompre les essais ?

Notre opposition à un tel projet se situe donc sur deux plans différents :

  1. D’abord sur le plan environnemental : le site est reconnu de haute qualité environnementale à plusieurs égards. Il est aberrant qu’un tel projet se fasse dans le sanctuaire Pélagos !
  2. Ensuite sur le plan de la transition énergétique : ce projet va servir à l’industrie pétrolière pour la recherche des hydrocarbures en mer profonde. Quand tournerons-nous vraiment la page des énergies fossiles?

Si l’île du Levant n’est pas aujourd’hui un site classé, comme le sont Porquerolles et Port Cros, c’est parce que l’île est un site militaire dont les activités (lancement de missiles) sont classées secret défense. Ce territoire est donc un no man’s land, un point aveugle soustrait à tout regard. N’en rajoutons pas avec un projet qui va cumuler de nouvelles activités humaines perturbatrices, cela ne va pas dans le sens de l’histoire qui est aujourd’hui, pour notre territoire, de protéger et valoriser notre environnement qui est notre meilleur placement pour l’avenir. Face aux lobbys de l’industrie pétrolière, face aux projets d’exploitations offshore qui réapparaissent régulièrement en Méditerranée sous différentes formes, un seul mot d’ordre : Résistons !

Brigitte Del Perugia

[1] Sur terre à noter deux espèces présente dans la calanque de la Carbonnière,inscrites sur la liste rouge des espèces menacées en France :
Limonium pseudominutum Erben,
Asplenium obovatum Viv. subsp. Obovatum.

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