Les semences de ferme et la loi sur la contrefaçon. Une contribution de Georges Baroni.
Le 20 Novembre 2013 les Sénateurs ont voté pour une loi qui permettra de condamner (saisie de la récolte et amende) pour contrefaçon tous les paysans qui utilisent des semences de fermes.
Mais qu’appelle-t-on semences de fermes ? (qu’il faut distinguer des “semences paysannes”) : “Les semences de ferme ou semences fermières sont les graines récoltées à partir de semences sélectionnées par l’industrie semencière mais multipliées par l’agriculteur à la ferme par soucis d’économie et d’indépendance.”(Voir http://www.semences-fermieres.org).
Pour résumer : pendant 10 000 ans, les paysans ont sélectionné et créé des variétés de nombreuses espèces végétales. Au 20ème siècle, les firmes semencières ont, sans jamais rien demander, ni payer, utilisé ces variétés pour en sélectionner de nouvelles, pour lesquelles elles ont déposé (en France, en Europe) un titre de propriété intellectuelle dénommé COV (Certificat d’Obtention Végétale). Aux USA, c’est un brevet). Ce COV leur permet d’encaisser des royalties sur la vente des semences qu’elles produisent.
Cependant, pendant des décennies, des paysans, tout en continuant par ailleurs, à utiliser souvent des semences paysannes, ont acheté ces semences “certifiées” (soumises à un COV), mais aussi, ont souvent ressemé l’année suivante une partie de leur récolte en les adaptant aux conditions locales, la semence de ferme n’étant pas une copie de la variété car ce n’est que très rarement que l’ensemble des caractères sont reproduits1.
Cette pratique allait de soi, elle découle du sens même du métier de paysan.
L’industrie semencière a alors commencé à baptiser ce droit – qui a été reconnu par la loi – de réutiliser des semences protégées par un droit de propriété intellectuelle, un « privilège de l’agriculteur ». Un terme tout à fait inapproprié, puisque les semenciers ont eux puisé gratuitement dans les semences des paysans pendant des décennies pour sélectionner leur variétés.
En fait le COV a été mis en place pour les espèces où les semenciers n’arrivent pas techniquement à créer des hybrides ou des variétés non reproductibles.
L’article suivant (L-623-24-1) du code de la propriété intellectuelle dit : Par dérogation à l’article L. 623-4, pour les espèces énumérées par le règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales ainsi que pour d’autres espèces qui peuvent être énumérées par décret en Conseil d’Etat, les agriculteurs ont le droitd’utiliser sur leur propre exploitation, sans l’autorisation de l’obtenteur, à des fins de reproduction ou de multiplication, le produit de la récolte qu’ils ont obtenu par la mise en culture d’une variété protégée.
Lorsqu’un paysan achète une semence d’une variété végétale améliorée et dont l’amélioration est prouvée, il paye le travail de sélection, ça parait normal, mais par contre, payer pour chaque ressemis c’est très différent ,et c’est un abus sachant que les variétés industrielles sont toutes issues de croisements plus ou moins lointains avec des variétés publiques libres de droit issues du travail de sélection des paysans.
Nos libertés sont en voie de disparition tout comme les paysans eux mêmes, accepter cette privatisation abusive c’est accepter notre fin. La passion de cultiver ou d’élever c’est d’abord la liberté du choix de ses semences ou de ses animaux, c’est avoir envie d’évoluer avec. Acheter tous les ans des semences ou animaux sélectionnés en laboratoire casse ce lien culturel et dénature le métier de paysan et le paysan lui même.
L’objectif des semenciers : interdire les semences de ferme.
Les firmes semencières – dont une dizaine d’entre elles contrôlent déjà 75% des semences utilisées sur la planète et qui, en France, viennent d’annoncer des profits records – ont un même but final : elles veulent tout le marché de la semence. Elles veulent que les semences industrielles éradiquent les semences paysannes. Elles veulent en finir avec ce droit ancestral des paysans, avec la liberté de semer et de ressemer. Depuis des années elles font passer des règlements et des lois qui resserrent l’étau autour des paysans.
C’est ainsi qu’en 2001 a été instituée pour le blé tendre (le blé panifiable) une taxe appelée “contribution volontaire obligatoire”. Une taxe que les paysans qui ressèment du blé tendre d’une variété couverte par un COV doivent payer maintenant aux semenciers.
Nouvelle étape le 8 décembre 2011 avec une loi votée à la fin de l’ère Sarkozy. Ce dispositif de “Contribution Volontaire Obligatoire”, ce paiement de royalties (destiné à augmenter au fil des ans) est alors étendu à 21 autres espèces végétales cultivées par les paysans.
Cette CVO sera collectée automatiquement au moment de la vente de la récolte, aux coopératives par exemple, sur tout paysan qui ne pourra pas présenter une facture d’achat de ses semences. S’ils font leurs semences et s’ils ne paient pas cette taxe, ils seront dans l’illégalité, ce sera de la contrefaçon.
Cette loi, qui fait suite à un règlement européen de 1994, interdit les semences de ferme pour toutes les autres espèces végétales (c’est-à-dire la majorité des espèces cultivées), aussi bien de grandes cultures types céréales que potagères.
Alors le 20 novembre 2013, elles ont fait un grand pas vers l’interdiction de facto des semences de ferme, avec le vote de cette loi contre la contrefaçon qui leur permet d’envoyer les douaniers chez les paysans pour saisir la récolte, lesquels seront alors passibles d’une amende et devront faire la preuve de leur innocence.
Et l’ensemble de la loi elle-même – qui fait des paysans des contrefacteurs – a été votée à l’unanimité des sénateurs !
Cet article a été rédigé courant décembre 2013 à partir de textes issus de « Info-Semences » et « Semons la Biodiversité ».
Georges Baroni
Groupe local EELV Dracénie Haut Var.
Confédération paysanne du Var,
Membre de la Commission nationale Semences et OGM.